Découverte du Mexique

LA MORT

« Au Mexique, rien n'est plus vivant que la mort »

 

Calaveras - Le Flic...
Calaveras - Le Paysan...
Calaveras - Les Maries...
Calaveras - Le Peintre...

 

L'esprit mexicain est entièrement traversé par le goût pour la morbidité, une fascination pour la mort que l'on constate dans de nombreux domaines et surtout dans l'artisanat populaire. Dans tous les lieux de passage touristique, on rencontre des artisans vendant des articles d'un plus ou moins bon goût pour un européen, tels des squelettes en bois de taille humaine, des têtes de mort, d'angelots étranges et de monstres mythiques. Souvent les couleurs sont vives. Le touriste comprend mal cette attirance malsaine pour le morbide et pense à de la simple dérision. Ici, pourtant, la mort est une chose que l'on ne semble jamais prendre au sérieux. Nous, Européens, nous avons du mal à les comprendre.

« L'indifférence du Mexicain devant la mort se nourrit de son indifférence devant la vie. »

Octavio Paz

Les « Calaveras » - « Têtes de Morts » - Taxco de Alarcón - Mexique
Les « Calaveras » - « Têtes de Morts »
Calavera « Don Quichotte » José Guadalupe Posada
Une gravure de calavera « Don Quichotte »
Par le célèbre caricaturiste José Guadalupe Posada
« Esta es de Don Quijote, la primera, la sin par, la gigante calavera »
« C'est Don Quichotte, le premier, l'incomparable, le crâne géant »

Il faut bien comprendre l'importance de la place de la mort pour le Mexicain. C'est un fait culturel qui vient de très loin puisque l'on sait que les civilisations précolombiennes ont toutes eu un culte des morts très puissant. On se souvient que les Aztèques ont poussé à son paroxysme les rituels de sacrifices humains et d'automutilation. La mort et les morts côtoyaient en permancenc les vivants. Il en est toujours de même aujourd'hui. La mort ? Philippe Ariès résume bien l'esprit qui entoure ce problème dans la culture mexicaine : il y a « un sentiment très ancien et très durable, et très massif, de familiarité avec la mort, sans peur ni désespoir, à mi-chemin entre résignation passive et la confiance mystique... La mort est reconnaissance par chacun du destin où sa propre personnalité, qui certes n'est pas anéantie, mais endormie. Cette croyance n'oppose pas tant la vie et la survie... Les morts ont autant de présence que les vivants et les vivants aussi peu de personnalité que les morts... Cette attitude devant la mort exprime l'abandon au Destin et l'indifférence aux formes trop particulières et diverses de l'individualité ». La mort pour le Mexicain est le miroir de la vie.

Les « Calaveras » - « Têtes de Morts » - Photo de Tomas Castelazo
Les « Calaveras » - « Têtes de Morts »
Photo de Tomas Castelazo

Devant l'une comme devant l'autre, il se renferme, il les ignore et s'en moque. Drôle de Mexicains : « Así es la vida... » (C'est la vie...). C'est un état d'esprit hérité des Indiens :

« Nous ne sommes que venus dormir, Nous ne sommes que venus rêver !
Est-il vrai, est-ce possible que nous soyons venus sur la terre pour y vivre ?
Ainsi que l'herbe à chaque printemps, nous nous transformons :
Elle reverdit, elle jette ses bourgeons, tout comme notre cœur.
A peine notre corps a-t-il fait quelques fleurs
Qu'il s'en retrouve tout flétri... »

« La vie est un songe » - Poème aztèque

« Il vaut mieux que l'indien demande au ciel
De le débarrasser de la vie
Parce que, mort, c'est bien mieux :
ll n'a plus à souffrir. »

Chanson populaire

Mictlantecuhtli - Le Seigneur de l'Enfer - Culture Totonaque
« Mictlantecuhtli - Le Seigneur de l'Enfer »
Culture Totonaque

Il existe une « Fête des Morts », le 2 novembre, qui n'est pas, comme chez nous pour la Toussaint, une triste journée vouée au recueillement et au souvenir de nos disparus. Au Mexique, ce « Días de los Muertos » est une journée de joie où l'on va au cimetière en famille pour déposer des fleurs sur les tombes des défunts. Pour les fleurs, on privilégie les soucis jaunes ou oranges qui, depuis les Aztèques, sont considérées comme les fleurs favorites des morts. Les tombes sont nettoyées et décorées. Le cimetière devient un véritable parc floral où chacun rivalise de talent pour réaliser la plus belle décoration. On dépose aussi de la nourriture et des boissons. On allume des bougies. On y ajoute des drapeaux ou un portrait du défunt. On n'hésite pas à poser sur les tombes des crânes en céramique ou en bois. Il arrive qu'il s'agisse de véritables crânes humains...

Calaveras - Dessin 1
Calaveras - Dessin 2

Entre amis, on s'échange des têtes de morts en sucre, les « calaveras », que l'on dévore avidement en rigolant. On y retrouve la famille, on en profite pour pique-niquer sur place et une rumeur de fête finit par emplir le cimetière. S'il ne fait pas froid pendant la nuit, on reste là et on discute, on boit encore un coup, parfois trop... C'est aussi l'endroit où l'on règle ses comptes. Dans les rues, le soir, les hommes portent des masques, plutôt morbides, harcèlent les jeunes filles, font exploser des pétards, brûlent des pantins représentant le diable, boivent toujours jusqu'à plus soif...

¿Qué es la vida? Un frenesí
¿Qué es la vida? Una ilusión,
una sombra, una ficción;
y el mayor bien es pequeño;
que toda la vida es sueño,
y los sueños, sueños son.
Qu'est-ce que la vie ? Une folie.
Qu'est-ce que la vie ? Une illusion, une ombre, une fiction;
le plus grand bonheur est peu de chose,
car toute la vie est un songe
et les songes valent ce que valent les songes...

Pedro Calderón de la Barca, La vida es un sueño / La vie est un songe

On voit là une résurgence persistante des anciens rites païens qui ici n'ont jamais totalement disparu. Ce rapport à la mort s'est encore accentué avec la diffusion de la religion chrétienne dans la population. Les nombreuses fêtes religieuses sont toujours l'occasion de montrer sa dévotion, de se faire souffrance car la religion chrétienne est ici vécue comme une expérience de la souffrance et du repentir : il n'est pas rare de voir des hommes se flageller en public, refaire le chemin de croix dans les pires conditions, traverser des distances immenses pour un pèlerinage qu'il effectue en rampant tout en priant... Cette douleur que l'on s'inflige à soi-même n'est ici encore qu'une manière de défier la mort.

Une fois l'an d'ailleurs, à la Toussaint, les morts rendent visite aux vivants. On comprend que les Mexicains n'ont pas peur de la mort car elle fait partie de la vie, qu'elle est toujours présente dans son esprit. D'ailleurs, on le voit dans leurs comportements. Il l'aime, la nargue et la défie... par fierté, par dérision. Mais c'est toujours elle qui gagne à la fin. Le Mexicain est un homme qui aime les combats perdus d'avance. Comme le dit le dicton :

« Si on doit me tuer, qu'on me tue une bonne fois pour toutes ! »
« Le Jour des Morts » - Peinture de Diego Rivera (1923)
« Le Jour des Morts » - Peinture de Diego Rivera (1923)

Le culte de la « La Sainte Mort... » (La Santa Muerte)

« Défier la mort oui, mais encore faut-il commencer par l'aimer ! »
« Allégorie de la Mort - Au bord de la mort » - Tomás Mondragón - 1856 - Mexique
« Allégorie de la Mort - Au bord de la mort »
Tomás Mondragón - 1856

On sait que les Mexicains ont un sentiment religieux très profond et souvent quasi-mystique, il suffit de visiter les églises du pays pour s'en rendre compte. Mais, au-delà de ce fait, on a vu apparaître ces dernières années un culte exacerbé et finalement totalement irrationnel de la mort à travers le culte de « La Sainte Mort... » - La Santa Muerte. Début 2011, les adeptes de ce nouveau courant religieux, les adorateurs de la Sainte Mort, font la une des actualités et commence sérieusement à troubler l'opinion public : pour le dire simplement, tout cela commence à faire désordre pour les autorités locales et fédérales et surtout pour l'Église catholique qui n'hésite plus à traiter cette secte de sataniste !

Connus pour brandir avec exagération lors des processions des crânes - calaveras - revêtus d'une capuche et portant une faux (!) et autres signes morbides plus ou moins douteux (mais c'est un aspect déjà très présent dans la culture mexicaine) et de se présenter comme des marginaux et des provocateurs, ils ont vite séduits les petits voyous, les prisonniers, les borderlines et autres personnes peu recommandables ou mentalement faibles pour finir carrément comme le culte majoritaire chez les narco-trafiquants ! Aujourd'hui, on peut voir leur autels dans toutes les grandes villes et, à Mexico même, on en a dénombré plus de 1500 ! Tepito, le quartier rebelle de la capitale reste son plus beau jardin...

Les choses se sont accélérées depuis l'arrestation le 4 janvier de son leader David Romo qui avait eu la bonne idée de s'auto-consacrer « évêque » de ce mouvement au caractère éminemment subversif et très prosélyte. Déjà assez puissant en 2005 pour demander son inscription officielle au registre des associations religieuse, et obtenir des subventions et avantage fiscaux, sa déjà sulfureuse réputation avait amené le gouvernement à lui signifier un refus. Mais le nombre d'adeptes de cette secte, qui se nomme elle-même Eglise traditionnelle catholique Mexique-Etats-Unis, augmente de jour en jour malgré la répulsion qu'elle inspire à la majorité des croyants du pays... Grisé par son succès, Romo, en mars 2010, avec 200 de ses disciples, avait été jusqu'à défier le gouvernement directement sur le Zócalo de Mexico en clamant « la guerre sainte contre les autorités ! » et, dans la foulée excommuniant l'archevêque de México puis le Pape lui-même !! Mal lui en a pris, car, au Mexique, on ne plaisante pas sur ces sujets-là... Affaire à suivre donc...

Une représentation de la « La Sainte Mort... » - Wikimedia
Une représentation assez explicite de « La Sainte Mort... »
« Adorer la mort nous invite au renoncement et à la réflexion,
à laisser de côté la rancoeur, l'aigreur, le désir de revanche »

« Monseigneur » David Romo

Il reste cependant certain que ce culte de la Mort, si fort et si présent au Mexique trouve son origine dans le souvenir de Mictecacihuatl qui, dans la mythologie aztèque, se présente comme la reine de l'inframonde, le Mictlan. Cette « Dame de la mort », épouse du seigneur de la mort, Mictlantecuhtli, veillait sur les sépultures et les os des morts... D'un autre côté, elle présidait aussi les festivités dédiées aux morts : son culte est probablement à l'origine de la tradition mexicaine de la Santa Muerte ainsi que de la figure emblématique de la fête des morts mexicaine, la Catrina, largement popularisée par le caricaturiste Posada...

Dansante...

Pour en savoir plus sur ce sujet...

« Vie et mort en Mésoamérique »
par l'anthropologue Perig Pitrou dans la revue « L'Homme » (2018 - n° 226)

« La religion au Mexique... »

« Les calaveras de José Guadalupe Posada »

Sur la Sainte Mort :

La « Sainte Mort » sur Wikipedia (fr.)

La « Santa Muerte » sur Wikipedia (en.)

...et pour ceux qui aiment les calaveras :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Calavera_(Mexique)

Les « Calaveras » sur Pinterest (en.)

Dansante...

Et un film !

« Le jour des morts » / « Death Day » (YouTube)

Un film étrange et magnifique de Sergei Eisenstein (1934)

« Le jour des morts » / « Death Day » par Sergei Eisenstein en 1934

« Comme tout peuple héroïque,
les Mexicains méprisent à la fois la mort et ceux qui ne la méprisent pas.
Mais cela ne leur suffit pas : en plus, le Mexicain rit de la mort.
“Le Jour des Morts” - le 2 novembre - est un jour de débauche impétueuse
où l’on se moque de la mort et de son emblème, le squelette et la faux. »

Sergei Eisenstein - « Mémoires 3 » (Œuvres - Tome 6)

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